"Nous
sommes devenus des déterministes absolus, et ceux mêmes qui veulent
réserver les droits du libre arbitre humain laissent du moins le
déterminisme régner sans partage dans le monde inorganique. Tout
phénomène, si minime qu’il soit, a une cause, et un esprit infiniment
puissant, infiniment bien informé des lois de la nature, aurait pu le
prévoir dès le commencement des siècles.
Le premier exemple que nous allons choisir est celui de l’équilibre
instable ; si un cône repose sur sa pointe, nous savons bien qu’il va
tomber, mais nous ne savons pas de quel côté ; il nous semble que le
hasard seul va en décider. Si le cône était parfaitement symétrique, si
son axe était parfaitement vertical, s’il n’était soumis à aucune autre
force que la pesanteur, il ne tomberait pas du tout. Mais le moindre
défaut de symétrie va le faire pencher légèrement d’un côté ou de
l’autre, et dès qu’il penchera, si peu que ce soit, il tombera tout à
fait de ce côté. Si même la symétrie est parfaite, une trépidation très
légère, un souffle d’air pourra le faire incliner de quelques secondes
d’arc ; ce sera assez pour déterminer sa chute et même le sens de sa
chute qui sera celui de l’inclinaison initiale.
Une
cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable
que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet
est dû au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la nature
et la situation de l’univers à l’instant initial, nous pourrions prédire
exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur.
Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour
nous, nous ne pourrions connaître la situation qu’approximativement. Si
cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même
approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le
phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est
pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les
conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes
finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur
énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons
le phénomène fortuit.
Notre second exemple
sera fort analogue au premier et nous l’emprunterons à la météorologie.
Pourquoi les météorologistes ont-ils tant de peine à prédire le temps
avec quelque certitude ? Pourquoi les chutes de pluie, les tempêtes
elles-mêmes nous semblent-elles arriver au hasard, de sorte que bien des
gens trouvent tout naturel de prier pour avoir la pluie ou le beau
temps, alors qu’ils jugeraient ridicule de demander une éclipse par une
prière ? Nous voyons que les grandes perturbations se produisent
généralement dans les régions où l’atmosphère est en équilibre instable.
Les météorologistes voient bien que cet équilibre est instable, qu’un
cyclone va naître quelque part ; mais où, ils sont hors d’état de le
dire ; un dixième de degré en plus ou en moins en un point quelconque,
le cyclone éclate ici et non pas là, et il étend ses ravages sur des
contrées qu’il aurait épargnées. Si l’on avait connu ce dixième de
degré, on aurait pu le savoir d’avance, mais les observations n’étaient
ni assez serrées, ni assez précises, et c’est pour cela que tout semble
dû à l’intervention du hasard."
Tout est dit avec ce magnifique texte d'Henri Poincaré extrait du Calcul des probabilités.
Un processus itératif totalement déterminé est extrêmement sensible aux conditions initiales et donne l'apparence du chaos. Ce qui est déterminé semble alors aléatoire au regard de l'observateur.
Voir la simple suite logistique étudiée le vendredi de la sortie pour a=4.
On peut aussi méditer cet exemple géométrique, le billard de Sinaï, en comparant deux trajectoires A et B issues d'une quasi-même angle initial de sommet I:
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